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Les Fabriques du Ponant : le futur consortium de FabLabs de Brest

(Dernier épisode de notre série consacrée aux hackers et à leurs micro-usines du Futur. Pour clore ce tour de France , notre envoyé spécial Pascal Herard (aka Drapher) s’est rendu à Brest pour s’entretenir avec les fondateurs des Fabrique du Ponant.)

La dynamique associative de l’innovation brestoise est une réalité qui se concrétise aujourd’hui par la création d’un lieu assez unique dans l’univers des FabLabs : Les Fabriques du Ponant. Cet espace de 900 mètres carrés au sein du lycée technique Vauban de Brest va accueillir deux FabLab, celui de l’école d’ingénieurs, le “Téléfab”, ainsi que le “TyFab” de l’association “La Maison du Libre”, mais aussi l’association d’éducation populaire par les sciences et les techniques, “Les petits débrouillards”. Visite des acteurs du consortium de FabLabs et d’éducation populaire de Brest, en cours de constitution.

Reportage : Pascal Hérard

Photos: Marie Le Boiteux

En Bretagne, tout va très vite, et rien ne résiste à l’énergie débordante des acteurs de l’innovation citoyenne. C’est ainsi que l’on pourrait caractériser la création début 2014 des “Fabriques du Ponant”, une initiative unique en son genre en France. Les “Fabriques du Ponant” visent à réunir des hackers, des enseignants, des étudiants, des enfants, des membres associatifs, tous passionnés de technique autour de la “fabrication numérique” et du “bricolage en partage”. Le lieu démarre son activité dans les nouveaux locaux du Lycée technique Vauban en mai et ouvrira ses portes au public en septembre.

Education populaire

mini-stageC’est devant un collège que nous accueille Pierre Allée, le coordinateur des Fabriques du Ponant fraîchement recruté par l’association. Ce trentenaire passionné ne découvre pas le milieu des FabLabs avec son nouveau poste, il a déjà participé à la création de plusieurs hackerspaces et connaît parfaitement le domaine, bien que n’étant pas lui-même un pur technicien. S’il a choisi de nous recevoir ici en premier lieu, c’est pour nous montrer et nous expliquer ce que sont et font “Les Petits Débrouillards”, encore installés dans les locaux du collège, et l’un des trois acteurs des “Fabriques du Ponant”. Ici on est aux Petits Débrouillards grand Ouest. C’est une association d’éducation populaire par les sciences et les techniques, membre d’une fédération nationale, et c’est cette association qui va porter la responsabilité administrative et financière du projet de consortium nous indique Pierre Allée en entrant dans les locaux.

Il y a des outils de bricolage, des plaques de bois, des pots de peintures, et notre guide ne tarde pas à nous affranchir sur les activités de cette association qui va travailler sous peu avec les FabLabs brestois : C’est un public majoritairement d’enfants qui viennent par eux- mêmes, ou par le biais des écoles, sur les temps d’activités péri-scolaires. Ce sont avant tout des ateliers d’apprentissage par l’expérimentation. Mais les Petits débrouillards sont aussi un “Papi”, un Point d’Accès Public Internet, et dans ce cadre là, on forme des publics à l’utilisation d’Internet, au numérique, avec majoritairement des personnes retraitées.

L'ovule géante : objet interactif pédagogique de compréhension de la sexualité

L’ovule géante : objet interactif pédagogique de compréhension de la sexualité

Le lien avec les FabLabs se fait de façon évidente, lorsqu’au détour d’une salle, une énorme boule apparaît, entourée de bois, de carton, et d’autres éléments. C’est un ovule géant qui a été fabriqué par les enfants pour comprendre la sexualité : quand c’est branché et qu’on lance un “spermatozoïde géant” dessus, ça fait un bruit de bébé, nous explique doctement Pierre. Les enfants réalisent des objets, utilisent des techniques, pour comprendre et apprendre des notions scientifiques : les Petits Débrouillards semblent être une sorte d’ancêtre des FabLabs, dans une version enfantine et pédagogique du concept.

Ember 8Imaginer jusqu’où les enfants pourraient aller en s’emparant des technologies numériques laisse rêveur, ce que confirme le coordinateur : Le but avec les “Fabriques”, c’est que les enfants des “Petits débrouillards” puissent s’emparer de nouvelles choses, comme les cartes Arduino (micro-contrôleurs open-source permettant de réaliser de nombreux prototypes électroniques, ndlr), que les animations soient encore plus poussées avec la réunion des trois acteurs dans les mêmes locaux.

FabLab de futurs ingénieurs

Ember 7Le deuxième acteur des “Fabriques du Ponant” est le “Telefab” inauguré en septembre 2012, le FabLab de l’école d’ingénieurs “Telecom Bretagne”. Cette grande salle de plus de cent mètres carrés, au cœur du campus, abrite des dizaines d’ordinateurs, plusieurs imprimantes 3D, une fraiseuse numérique et tous les composants et appareils électroniques indispensables au prototypage,? principale activité de tout FabLab qui se respecte.

La responsable du FabLab, enseignante-chercheuse à Telecom Bretagne, Sylvie Kerouedan nous explique les raisons de la création du TeleFab : L’idée est partie de quelques enseignants, et c’était avant tout pour mettre du matériel à disposition des étudiants, particulièrement des machines. Nous avons voulu tout de suite les impliquer, et ils ont très vite adhéré au concept pour devenir des vrais acteurs du FabLab. Le but est de les mener à la réalisation concrète. La plupart de nos étudiants ont fait des “prépa” et sont uniquement dans le savoir, ils ne se rendent pas compte qu’ils sont capables de faire des choses. Et en faisant des choses, ils vont imaginer autre chose. Les projets des étudiants sont disséminés un peu partout sur les tables, et ne sont pas uniquement à vocation industrielle, malgré ce que l’on pourrait imaginer. Sylvie Kerouedan explique cette diversité par les apports extérieurs : C’est un lieu d’échanges : on a fait venir par exemple des étudiants des Beaux-Arts, on les a enfermés avec des étudiants de Telecom Bretagne, et ça a donné lieu à des idées vraiment intéressantes. Même si c’est un lieu universitaire, nous sommes en OpenLab tous les mardi soirs, et donc n’importe qui peut venir sur ces créneaux.

Le créateur de messages lumineux en mouvement par persistance rétinienne

Le créateur de messages lumineux en mouvement par persistance rétinienne

Pour l’entrée dans le consortium des Fabriques du Ponant, le TeleFab va en réalité conserver sa salle au sein de Telecom Bretagne et investir le nouvel espace des “Fabriques du Ponant” pour se fondre dans le nouveau projet : typiquement, avec les Fabriques du Ponant, nous pourrons proposer des formations en journée au Lycée Vauban, bien plus facilement que des membres bénévoles du TyFab ne pourraient le faire, sachant que l’on accueille déjà des classes de collège, pour découvrir l’Arduino, les imprimantes 3D.

(visuel) Le pilotage par ordinateur permet d'afficher ce que l'on désire dans la sphère, en leds “animées” ou non

(Le pilotage par ordinateur permet d’afficher ce que l’on désire dans la sphère, en leds “animées” ou non

Le TeleFab active de nombreux projets axés sur la robotique, mais aussi sur la surveillance de l’environnement : On commence à monter des réseaux de capteur pour la surveillance de la qualité de l’air, de l’eau, et à termes on aimerait bien avancer sur les réseaux de capteurs portés par l’homme pour la surveillance médicale. Ce sont des prototypes, avant tout pour montrer que ça marche : on a par exemple une équipe qui travaille sur une petite voiture équipée d’un capteur de monoxyde de carbone, qui se déplace et qui change de couleur en fonction des taux de Co2 relevés….

Une démonstration d’un étrange appareil circulaire conclue la visite : l’engin circulaire de métal se met à tourner très vite, des leds de lumière s’allument et affichent en couleur le message ARDUINO qui se déplace autour de la sphère par persistance rétinienne. Pilotée par ordinateur, la machine peut aussi afficher un globe terrestre sur lequel les cinq continents apparaissent en couleur. Bluffant.

Le TyFab : bricolage de pointe

Le dernier acteur du consortium des “Fabriques du Ponant” est le FabLab historique de Brest, le TyFab, émanation de l’Association “La Maison du Libre”. Créé en 2012 et situé pour l’heure au rez de chaussée d’un immeuble d’un vieux quartier proche du port, le TyFab est un lieu ouvert à tous : il suffit de gravir les trois marches de l’escalier depuis la rue, de pousser une porte vitrée pour être accueilli par l’un de ses fondateurs ou l’un de ses membres.

A gauche, la RepRap Azimov : création d'Arthur Wolf au sein du TyFab

A gauche, la RepRap Azimov : création d’Arthur Wolf au sein du TyFab

C’est un FabLab modeste du point de vue de sa superficie et de sa configuration, mais optimisé au maximum : la première salle est d’ailleurs remplie d’imprimantes 3D en train de “travailler” quand nous y pénétrons. Les étagères sont bourrées d’appareils de toutes sortes. L’espace utile n’est pas un vain mot au TyFab, mais pour autant, intégrer les 900 mètres carrés des Fabriques du Ponant ne sera pas un luxe et permettra d’agrandir ce FabLab très prometteur et réellement innovant.

Une fraiseuse numérique en action, pilotée par la Smoothieborad du TyFab

Une fraiseuse numérique en action, pilotée par la Smoothieborad du TyFab

L’une des Repraps présente imprime une pièce rectangulaire : C’est une Azimov, une imprimante 3D brestoise qui est en train d’imprimer en ce moment nous indique sans préambule Stéphane Philippe, l’un des co-fondateurs du TyFab. La Reprap qui s’active sous nos yeux serait donc une création du TyFab ? Créer entièrement une imprimante 3D étant le rêve de tout FabLab, des explications complémentaires sont nécessaires, que Stéphane s’empresse de nous donner : Mon associé, Arthur Wolf a conçu cette imprimante. Tous les éléments qui la constituent peuvent être imprimés à partir de n’importe quelle autre imprimante 3D comme c’est la règle. Sa particularité est d’utiliser la smoothieboard, une carte contrôleur qui est faite pour les machines à commandes numériques et qui a elle aussi été créée ici, par Arthur.

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De gauche à droite : Stéphane Philippe et Pierre Allée

Le TyFab est donc un FabLab en mesure de concevoir et produire de A à Z une imprimante 3D, carte contrôleur comprise. Avec un “plus” non négligeable : la Smoothieboard du TyFab peut être utilisée avec des fraiseuses numériques ou encore des découpeuses laser, et n’est pas cantonnée aux imprimantes 3D ! Une sorte de carte électronique universelle pour FabLab. Open Source Harware, la Smoothieboard est entièrement documentée pour être améliorée, modifiée ou réparée.

Le TyFab est équipé de tous les matériels que la charte des FabLabs implique : fraiseuse numérique, tour, imprimantes 3D, découpeuse laser, vynile, et autres CNC (machines à commande numérique) rien ne manque à l’appel et de nombreux projets y voient le jour.

La Smoothieboard : carte contrôleur de machines à commandes numériques créée au TyFab

La Smoothieboard : carte contrôleur de machines à commandes numériques créée au TyFab

Le TyFab produit donc en permanence des pièces de bois, de métal, de plastique pour des objets conçus par ses membres. Ici, le terme de “bricolage de pointe” est une réalité quotidienne. David Bozec, co-fondateur du TyFab souligne cette vocation : Les gens viennent fabriquer des pièces pour leurs prototypes. En ce moment par exemple, la fraiseuse est en train de creuser une pièce en bois pour un système qui permet à des personnes handicapées de barrer des bateaux avec un simple joystick. Il y a une coque de bateau pour sonder la rade de Brest en cours de réalisation, avec un sondeur GPS et un Arduino à l’intérieur. C’est de l’acquisition de données pour permettre d’établir une carte des fonds marins de la rade de Brest en Open Source, de type Openstreetmap. Mais le FabLab voit beaucoup de ses membres venir créer des objets du quotidien, ce qui est un peu sa marque de fabrique au propre et au figuré : On est plus sur l’amélioration de l’atelier du garage que sur des inventions des hautes sphères. Ici, on est plus pour se donner plus de moyens pour faire des choses qu’on aurait faites de toute manière. Le “fait main” (ou DiY) se décline donc au TyFab dans de nombreux objets usuels que chacun peut venir concevoir et créer de toutes pièces : une sorte d’usine miniature —moderne et ouverte à tous…

Les Fabriques du Ponant : partage, pédagogie innovante et ouverture vers les entreprises

OBCAu delà d’un besoin de mutualisation de locaux et d’un financement plus conséquent, les trois associations constitutives des Fabriques du Ponant ont en commun une volonté très forte de partage de la connaissance et d’approches pédagogiques nouvelles. Le principe de mettre ensemble un FabLab d’école d’ingénieurs, une association d’éducation populaire et un FabLab associatif dans un lycée technique n’est pas anodin. Le proviseur du lycée technique Vauban, Bernard Le Gal a immédiatement proposé de mettre à disposition les 900 mètres carrés nécessaires à l’hébergement du consortium, sachant qu’il avait déjà essayé de créer un FabLab au sein du Lycée : On était intéressé par créer un FabLab, il y avait eu un début de projet avec des partenaires comme l’IUT, Telecom Bretagne, mais il n’a pas été retenu. En créer un nous-même, tous seuls, c’était très difficile, voire impossible. Donc quand Anthony Auffret des “Petits Débrouillards” m’a contacté pour le projet des Fabriques du Ponant, j’en ai parlé au club de profs très porté sur l’innovation, et tout le monde a été très intéressé. Le local du lycée Vauban ne va pas être seulement un enchaînement de salles permettant aux membres des trois associations de venir fabriquer dans un espace plus grand : des partenariats avec l’éducation nationale ont été noués, ainsi que des services aux entreprises, et des événements programmés, comme “l’Open Bidouille Camp” (La Bricole en Partage). Ce qui intéresse avant tout Bernard Le Gal dans l’accueil des FabLabs, pour son lycée, C’est la philosophie. L’ouverture à tous, sans conditions de diplômes, l’apprentissage par la manipulation, l’expérimentation, et qui est très difficile à implémenter dans nos secteurs. Le lycée de l’avenir, c’est préparer les élèves à l’enseignement supérieur et aux entreprises. Il faut qu’ils apprennent à travailler en équipe, avoir des compétences transversales. Dans ces contextes, apprendre et restituer son savoir ne suffit pas. Surtout si on veut des gens qui travaillent dans l’industrie, montent des startups. Aux Etats-unis, c’est dans la culture, et ça marche. On plaisante toujours avec le type qui monte son projet dans son garage, et moi je veux des jeunes qui montent des garages.

Les Fabriques du Ponant sont-elles une nouvelle forme de “FabLabs à usage multiples”, et au fort potentiel créatif et d’innovation ? Tout l’indique, et si les alliances tiennent bon, il est quasi certain que la nouvelle révolution industrielle, souvent évoquée avec les FabLabs, se réalisera de façon encore plus significative avec des lieux comme les Fabriques du Ponant.

Fabriques du Ponant : fiche signalétique

  • Localisation : Lycée technique Vauban à Brest
  • Superficie du FabLab : 900 M2
  • Forme juridique : Consortium d’associations
  • Ancienneté : 2014, mais incluant des FabLabs créés en 2012
  • Nombre de participants : plusieurs centaines
  • Financement : 300 000 € sur 2 ans (Région)

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1 Commentaire

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    Les Fabriques du Ponant : le futur consortium de FabLabs de Brest | 50A BLOG | partage et collaboratif
    16 septembre 2014 at 8 h 13 min

    […] viaLes Fabriques du Ponant : le futur consortium de FabLabs de Brest | 50A BLOG. […]

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